viernes, 10 de abril de 2015

La joie de la transmission

Présentation à la Maison de l'Argentine à propos du centenaire du Génocide des Arméniens.


Je me souviens très clairement la toute première fois de ma vie où j’ai entendu le mot « arménien ». Et souvent je me demandais pourquoi il est resté dans ma mémoire sans aucune raison. Beaucoup d’années plus tard, j’ai entendu parler du génocide du peuple arménien, mais je ne savais pas comment s’est passé. Il fallait rencontrer, donc, des arméniens et grâce à la joie de cette rencontre il a fallu en savoir. Le contingéant d’une belle rencontre est devenu la necessité de savoir. Une necessité en tant qu’une marque à partir de laquelle rien ne sera jamais comme avant. Le savoir est, donc, un effet de la joie. Une joie définie en termes spinoziens (le philosophe Baruch Spinoza) qui définissait la joie en tant que "puissance d’agir", ce qui donne la force pour un acte.

Une des premières expressions que j’ai appris quand je suis arrivée à la Maison des Étudiants Arméniens c’était «ցավդ տանեմ» (« je porte ta douleur sur moi »). Elle m’a profondement touchée. Je vais laisser d’un côté l’usage, parce que cette fois-ci je voudrais plutôt parler  de toutes les questions et les pensées qu'elle m’a suscité.

« Porter la douleur d’un autre sur soi même ». La voie de mes pensée m’a fait trouver une première question sur la douleur. Ce n’est pas seulement la douleur, mais c’est la douleur d’un autre. Cette douleur qui se partage, est une douleur qui crée des liens. Ma vie parmi les arméniens et l’histoire d’une douleur partagée transmise d’une façon affectueuse et joyeuse a créé des liens très forts. Autrement dit, ces liens de douleurs ne pourraient pas se soutenir s’il n’y avait pas en même temps des liens joieux, aussi supportés par une histoire culturelle d’une richèsse formidable. C’est la joie des liens. La douleur serait autrement  insupportable et empechant d’une transmission s’il n’y avait la capacité de soutenir cette production culturelle, ce qui inclu la singularité d’une belle langue et ses expressions.

Il y a bien sur une différence entre la douleur physique et la douleur pshychique, mais ce temps dont je voudrais parler ce plutôt le temps où ces douleurs s’entrecroisent. Celle-ci est la douleur d’un peuple qui a été massacré. Un peuple qui a vu ses plus brillants intelectuels être éliminés, qui a été amené par le désert dépourvu de la nourriture et de l’eau vers une mort cruelle et atroce. Je vous conseille fermement d'écouter, de lire les récits, de voir les images, de savoir ce qui s’est passé pendant le génocide du peuple arménien. Pas pour comprendre (dans le sens de croire qu’on sait déjà de quoi il s’agit), mais plutôt le contraire. Ne comprenez pas ! Il faut tout d’abord ne pas comprendre
comment une atrocité pareil a eu lieu, il faut posez des questions à l’histoire de l’humanité, aux turcs, aux arméniens... il faut se poser des questions. « Porter la douleur » n’est pas la comprendre, mais cela implique plutôt un lien solidaire, empathique. On risque de ne plus poser des questions si on a l’idée de tout avoir compris, on risque de trouver une « réponse-solution final ».

En écoutant les discussions (et la musique) et au fur et à mesure que je faisait mon baptême dans la culture arménienne, je me demandais : Qu’est-ce que le peuple arménien a fait avec sa douleur ? Jacques Lacan organise son enseignement en donnant trois dimensions : le symbolique, l’imaginaire et le réel. Je vais juste définir le réel, puisqu'il concerne mon parcours. Le réel est de l’ordre de l’impossible à saisir avec le langage, c’est l’impossible à dire parce qu’il n’a pas de paroles. Alors, comment faire passer d’une génération à l’autre l’histoire de ce réel épouvantable qui était le génocide? Que peut-on dire sur un horreur qui n’a pas des mots?  Cela me renvoie inexorablement à ma propre histoire, qui est marquée par celle de ma grandmère juive et le silence assourdissant de la mort qui a touché à sa famille. Même si elle n’a jamais parlé de son histoire on a connu sa douleur. Je me demande maintenant si ce silence était sa façon de transmettre cette partie de son histoire sans paroles.

Je m’assois autour de la table avec mes amis les arméniens et je m’aperçois de ce qui me permet de créer un lien avec l’Autre de mon passé et avec les autres de mon présent. C’est grâce à la transmission en tant que ce qui va au-delà de la parole que quelque chose du réel de l’epouvantable peut être saissi, pendant qu’on partage la vie même. La joie comme puissance d’agir est donc, la
possibilité d’une invention, d’une puissance de création.  Ce que Spinoza appelle « une "puissance d’exister" et quand elle est affirmée, la joie et les affects sont nés. L’élimination systématique  des êtres humaines perpetré dans les génocides est plutôt de l’impuissance, puisque elle n’aporte que la destruction de l’existence.
Je ressens la force d’une existence qui s’attache à son identité et cela me fait poser des questions à propos de ma propre identité. Le fanatisme, la fermeture d’esprit et la négation de l’autrui n’ont aucun relation avec l’identité et je dis ça pas seulement par rapport à ce que chacun doit reviser en soi même, mais aussi par rapport à la nation turque : comment construire une identité sur la base de la négation systématique de sa propre histoire et de l’autrui ? La possibilité d’échanger (pas dans les termes de la mondialization) mais l’échange en tant que quelque chose qui nous permet de réflechir, c’est grâce à la joie d’avoir construit une identité ferme, pourtant pas fermée, qui permet de créer des liens pas seulement avec les égaux, mais avec les différents.

Je regarde mes arméniens et je les garde dans une âme qui est devenue une partie arménienne. Je les entends parler une langue que je ne comprends pas et qui a, pourtant, une signification très claire pour moi. Je les connais maintenant. Je les connais et je me re-connais. C’est ça, dans tous les sens
possibles du mot, l’importance de la RECONNAISSANCE.

Շնորհակալություն

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